L’avocat, le médecin et le boucher vendaient des faux papiers

Vingt-trois personnes sont jugées à partir de lundi à Versailles, soupçonnées d'avoir participé à un réseau bien rodé de fabrication de faux documents pour l'obtention de titre de séjour.

Dans un étonnant trafic de faux documents visant à obtenir des titres de séjours à des ressortissants maghrébins, pour lequel un procès s'ouvre lundi devant le tribunal correctionnel de Versailles, la liste des prévenus ressemble au casting d'un vaudeville: un boucher, un médecin, une fonctionnaire de préfecture, un avocat parisien, un boulanger, un agent de sécurité de préfecture, un comptable, des serveurs et même un sacrificateur…

Au total, ce sont 23 personnes qui sont poursuivies pour corruption et assistance au séjour irrégulier en bande organisée. Chacun à sa façon, selon son poste, faisait tourner la petite entreprise de fabrication de faux papiers contre rémunération, en argent mais aussi en gâteaux ou encore en pièces de viande puisque le principal organisateur du trafic est un boucher du Val-de-Marne: Lahoucine Jouan, 57 ans. Connu de la justice pour escroquerie, il procurait à des «clients» des faux papiers censés attester de leur présence d'au moins 10 ans sur le territoire français ou d'un état médical grave. Il officiait aux côtés de Hedi Ben Amor, un «négociateur» habitant Sarcelles, présenté dans la procédure comme la deuxième «tête du réseau».

De 1000 à 15.000 euros

Les demandeurs de titre de séjour payaient de 1000 à 15.000 euros au trafiquant boucher. Ce petit réseau entre amis est jugé pour des faits entre 2006 et 2010, permettant de constituer des dossiers de régularisation pour des dizaines d'étrangers originaires du Maghreb, principalement d'Algérie, dont 12 sont eux aussi poursuivis devant la justice. Les faussaires ou petites mains qui ont assisté le boucher étaient rémunérés «à la pièce» ou à la mission jusqu'à 300 euros. Ils produisaient des certificats médicaux, comme ce médecin complaisant de Choisy-le-Roi, des fiches de paie, des quittances de loyer, des factures ou des attestations de scolarité.

«Ma cliente s'est fait manipuler»

Me Solanet, qui plaide la relaxe d'une fonctionnaire de 55 ans
Un avocat de Paris, demeurant à Neuilly-sur-Seine, Me Mohamed Laribi, était chargé de compléter et déposer les dossiers falsifiés dans les préfectures des Yvelines et du Val-de-Marne. Dans la première, à Versailles, un agent de sécurité «coupe-file» permettait d'éviter une longue attente dans la queue. Dans la seconde, à Créteil, une fonctionnaire de 55 ans, en poste à l'accueil – suspendue depuis – favorisait un accès privilégié au guichet et consultait le fichier informatique des étrangers pour voir l'état d'avancement des dossiers. «Ma cliente n'avait aucun pouvoir de décision sur les dossiers», défend aujourd'hui son avocat, Me Denis Solanet, qui plaide la relaxe sur l'«assistance au séjour irrégulier en bande organisée». «Elle s'est fait manipuler, elle facilitait le passage, certes, mais elle ne connaissait pas la nature du trafic», souligne-t-il. En contrepartie de ses services, la fonctionnaire recevait des victuailles du boucher, la possibilité de faire ses courses gratuitement dans sa boutique avec un plafond de 120 €, le prêt d'un véhicule et des réparations gratuites sur sa voiture.

Une petite organisation parfaitement structurée

C'est fin 2007 que la police commence à tirer les écheveaux de ce drôle de canevas. En appréhendant un ressortissant tunisien, les fonctionnaires de la police aux frontières (PAF) découvrent des faux documents dans son dossier de demande de titre de séjour à la préfecture des Yvelines. Faux reçu notarié, faux certificat de scolarité, faux résultats d'analyses biologiques, etc. L'interpellé indique alors son «contact» avec Me Mohamed Laribi à qui il aurait versé 10.000 euros en espèces contre l'ensemble de documents nécessaires à l'obtention de son titre de séjour. «L'enquête devait révéler que cet avocat était un membre actif d'un réseau de faussaires», indique la procédure. Au fil des investigations et des écoutes téléphoniques, la PAF puis la police judiciaire de Versailles mettent alors au jour la petite organisation parfaitement structurée.

Pour les faits de corruption, les peines encourues vont jusqu'à 10 ans d'emprisonnement.