Visiblement, notre coup de fil n'interrompt pas Arnaud Montebourg en plein labeur. Deux jours après son départ fracassant du gouvernement, l'ancien ministre n'a pas encore empoigné sa charrue dans le droit sillon du consul Cincinnatus, sa désormais célèbre référence antique. Pour l'heure, le modèle du citoyen Montebourg serait plutôt Alexandre le Bienheureux : « J'ai pris un petit déjeuner à deux heures de l'après-midi, ça ne m'était pas arrivé depuis dix ans », lâche-t-il sur un ton guilleret qui paraît un tantinet forcé.
On le dit tenté par la création d'une entreprise de nouvelles technologies « made inFrance ». Quant à ses ambitions politiques… « Je ne suis pas candidat à quoi que ce soit et suis très heureux de la situation que j'ai choisie. Je ne tire aucun plan sur la comète politique. Je ne serai pas absent du débat, on n'est pas obligé d'êtreun professionnel de la politique pour parler de politique. »
CHOC DE CARRIÈRE
Que faire après une démission forcée, une éviction suite à un coup d'éclat ? D'autres avant Arnaud Montebourg ont eu à affronter pareil choc de carrière. Quelques mois après leur arrivée à la tête d'un ministère, ils ont été brutalement débarqués pour désaccord avec la ligne gouvernementale sur fond de tensions accrues avec un premier ministre autoritaire.
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Le cas Montebourg n'est pas sans rappeler le sort d'Alain Madelin, l'éphémère ministre de l'économie et des finances de Jacques Chirac en août 1995. « Il m'était devenu impossible de m'entendre avec Alain Juppé », se souvient Alain Madelin qui, tout en reconnaissant « quelques similitudes » avec la situation présente, relativise le parallèle : « Je n'ai pas fait de mon départ un acte politique, un geste fondateur. Il n'y avait pas de calcul de ma part. Je n'étais pas fasciné par le pouvoir. Montebourg, lui, est accro à la politique, il veut commander. Il vachercher à prendre sa revanche et faire en sorte que Hollande se plante. »
Retiré de la vie politique en 2007 pour poursuivre une carrière d'avocat et d'homme d'affaires, le pourfendeur des déficits publics et des « avantages acquis » n'a pas souffert d'une déprime post-gouvernementale. « Ma vie d'ancien ministre a été plus facile que beaucoup d'autres qui ont le sentiment d'une descente en enfer », prétend Alain Madelin, si conscient de « l'après » qu'il aurait fait imprimer des cartes de visite avec la mention « ancien ministre » dès son arrivée à Bercy.
On pourrait imaginer qu'une mésaventure commune rapproche deux ministres de l'économie tombés au champ d'honneur des convictions. Mais entre le chantre de la démondialisation et l'apôtre du libéralisme, les différences sont trop fortes pourfaire naître le moindre sentiment de solidarité : « Montebourg est un fanfaron extraordinaire avec des idées surréalistes », tranche Alain Madelin. Avant deconclure sur un bourre-pif à la Tontons flingueurs : « Montebourg ose tout, c'est même à ça qu'on le reconnaît. »
Autre évincé récent, Benoît Hamon répond, lui, par un courtois sms en forme de fin de non-recevoir : « Je vais rester abstinent quelque temps. » Plutôt que les délices de la grasse matinée, l'ex-ministre de l'éducation a redécouvert les bienfaits du jogging. « Pour décompresser », selon des amis cités par Le Parisien.
Et maintenant ? Quelle pourrait être la prochaine étape de ces carrières politiques en suspens ? Une certitude : Arnaud Montebourg, Benoît Hamon ou Aurélie Filippetti ne manqueront pas d'être sollicités par des maisons d'édition. Le hollandisme flageolant encourage ces temps-ci un genre littéraire éprouvé : les confidences au bazooka des ministres en rupture de ban.
Après Cécile Duflot et son essai De l'intérieur. Voyage au pays de la désillusion(éditions Fayard), l'ancienne ministre socialiste de l'écologie Delphine Batho, limogée en juillet 2013 pour avoir publiquement dénoncé le « mauvais budget » du gouvernement Ayrault, s'apprête à jeter un pavé de 220 pages dans la mare néo-socialiste. Insoumise, publié aux éditions Grasset le 15 octobre, réserve des moments de lecture inconfortables pour le pouvoir en place.
« CONNIVENCE AVEC LES PUISSANCES FINANCIÈRES »
Le mot de l'éditeur annonce la couleur… Du rouge saignant : l'auteure « raconte comment, au sommet de l'Etat, règne ouvertement la connivence avec les lobbys et les puissances financières que la gauche était supposée combattre ». Après son brutal tomber de rideau ministériel, la « lanceuse d'alerte », telle qu'elle se définit, a aussitôt retrouvé son siège de députée dans la deuxième circonscription des Deux-Sèvres. Elle se souvient du « fort soutien de la base », mais pour le reste, c'est plutôt un vide intersidéral qui se fait autour d'elle.
Quelques mois après son limogeage, Ségolène Royal dit méchamment de son ancienne protégée qu'elle « avait atteint son seuil d'incompétence » au gouvernement. Quant à Yves Debien, maire socialiste de Melle, dans les Deux-Sèvres, il somme la ministre déchue de quitter le bureau de l'hôtel de ville qui lui servait jusque-là de permanence parlementaire. « Je refuse une lecture psychologisante de mon cas. Je ne suis pas une victime, je suis une femme politique, j'ai posé un acte qui a eu des conséquences. C'est un désaccord dont j'ai assumé toutes les conséquences », commente Delphine Batho. Quatorze mois après son limogeage, elle juge que la suite des événements lui a donné raison. « Je n'ai malheureusement pas été surprise par la double défaite électorale de la gauche ou par ce qui se passe maintenant », constate cette tenante de la gauche du PS.
LES DÉMISSIONS NE SONT PAS LÉGION
Sous la Ve République et sa logique bipolaire, les démissions pour divergence affirmée avec la ligne gouvernementale ne sont finalement pas légion. A titre de comparaison, les départs individuels consécutifs à une polémique ou à une mise en examen sont des cas de figure autrement plus fréquents.
Arnaud Montebourg rejoint donc le cercle très fermé des ministres claqueurs de porte. Il y retrouve quelques personnalités de premier plan passées par les sentiers de la rébellion : Jacques Chirac (en 1976, alors qu'il est en désaccord avec la politique centriste de Valéry Giscard d'Estaing dont il est le premier ministre) ; Michel Rocard (en 1985, pour protester contre l'introduction du scrutin à la proportionnelle) ; Alain Madelin (en 1995, en désaccord avec les choix économiques) ; le multirécidiviste Jean-Pierre Chevènement (1983, 1991 et 2000) à qui l'on doit l'inoxydable formule : « Un ministre ça ferme sa gueule, et si ça veut l'ouvrir, ça démissionne. » Et « ça se positionne » pourrait-on ajouter.
MM. Chirac, Madelin, Chevènement et Rocard ont tous en commun d'avoir nourri par la suite des ambitions élyséennes. « Ils prennent date pour le futur », observe le politologue Pascal Perrineau. « C'est cette tactique de positionnement que l'on retrouve chez Arnaud Montebourg. Il nous parle de Cincinnatus mais je ne crois pas du tout qu'il soit dans la position du consul romain retournant à ses labours et ses charrues. Dans les semaines qui viennent, on va voir qu'Arnaud Montebourg va entrer dans la bataille politique. »
De fait, une fois la porte claquée, les démissionnaires ou démissionnés s'empressent d'en ouvrir d'autres pour revenir au pouvoir. « Quelques mois après son départ de Matignon, Chirac fonde le RPR, Madelin prend la tête du Parti Républicain qu'il renomme Démocratie libérale, Chevènement crée le Mouvement des citoyens, Rocard reste dans le combat politique au sein du PS », rappelle Pascal Perrineau. Mais les aventures post-ministérielles s'accompagnent du risque évident d'une « périphérisation » sur l'échiquier politique. Reste à voir ce que l'avenir réserve à Arnaud Montebourg : un destin à la Chirac ou à la Chevènement ?
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